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myshortcuts
6 janvier 2017

La parfumerie de l'aéroport.

Elle entre dans le magasin, un air coupable en travers du visage. Elle ne se laisse pas abattre par la chaleur, ni bousculer par les autres, ni éblouir par les néons. Entrer lentement dans la danse. Ne plus être tout à fait. aller tout droit, connaitre son chemin, tracer sa route. S'abandonner déjà un peu. Ici tout brille, embaume, clignote, et lui donne mal à la tête. Il n'y a que cette douleur qui lui rappelle qu'elle vit encore.
Un robot, l'air de rien, faire le tour du magasin, jeter dans son panier trois boules de bain, un rouge à lèvre, un voile parfumé, n'importe quoi pour remplir, remplir toujours le vide qui ne porte plus de nom. Etre belle, à quoi bon? Les croyants peut-être, lorsqu'ils se retrouvent seuls, se pavanent encore devant leur dieu. Si l'on a pas de dieu. Ni dieu, ni maitre, plus rien. Une âme juste qui danse sur son coeur, blessure aveugle qui ne dit pas son nom. Pour celle-ci on se suicide à petit feu et l'on ne se fait pas belle. Chaque jour devant son autel on se met à nu, regarde ce que je suis devenue, une peau vide, que plus rien de remplit, qui ne sent plus l'étreinte qui l'envole. Admire ma déchéance. Et l'on se déteste. Etre une cage dorée qui cache l'horreur. Se détester, avoir envie de se battre, de battre tous ceux que l'on croise.
Approcher lentement et sentir cette course s'accélérer. Mécaniquement, les yeux qui connaissent par coeur ses courbes, son teint doré, sa tête aux angles virils, tendre le bras comme un robot, le saisir enfin. Lui arracher la tête et le porter à son nez, avoir envie de le mordre, de le jeter autant que de le boire, pour le sentir couler dans ses veines à nouveau, enfin, vous enivrer de lui. C'est le parfum de l'amant perdu.

Les premières notes vous emportent loin, celles qui suivent vous ouvrent toute entière, vous donnent envie d'hurler, la chaleur de vos joues suggérée par le rose qui s'y installe, le souffle court et lourd, un tremblement. Enfin, étourdie au milieu des passants que vous aviez oubliés et qui vous dévisagent, reposer sagement le flacon, se refaire, se remettre, une mèche derrière l'oreille, un chignon d'héroïne de Maupassant, héroïne déchue. Un col réajusté, et se diriger bien gentiment vers la caisse, épuisée.
Tantôt univers réputé merveilleux, tantôt spirale infernale, une part de rêve qui alimente l' enfer. Dépenser, entendre le bruit du papier qui se plie, du sac que l'on ouvre, le tac tac des échantillons qui tombent au fond du sac en kraft, "merci pour l'anti ride, déjà vous croyez?, et puis…  Imaginer les sourires de ceux à qui l'on tend le paquet, les "merci encore" et le soufflé qui retombe. Attendre puis recommencer. La vie, c'est recommencer. Tout recommencer. Ou presque. Ce qui nous tue revient en boucle. Ce qui nous porte s'enfuit, inexorablement et l'on a de cesse de poursuivre cette course vaine.
En sortant, les larmes qui montent ont un gout amer, est-ce un peu de poison qui se distille ou la rage qui se soulage de son corps dévoré?


A peine sortie elle sait qu'elle reviendra, encore, faire l'expérience de la douleur, portant le secret espoir que le parfum un jour n'en sera plus qu'un, que toute détachée, elle sentira de-ci, de-là, les flacons alignés d'un air distrait, et celui ci n'en sera qu'un parmi d'autres. D'ailleurs il ne sent pas très bon...

Elle aimait ce moment, rituel, mantra, bouquet d'émotion. Ça partait du bas des jambes, les pieds se fondaient, se dérobaient sous elle et le froid polaire qui s'y engouffrait devenait brasier dans son dos. Une caresse, un murmure. Mais plus jamais elle ne laisserait la chaleur dépasser le milieu de son corps. C'est donc vrai que tout est dans un parfum.
En face d'elle dans l'aéroport de Pointe à Pitre, un couple de vacanciers éternels, retraités, anticipait la climatisation intense de la cabine. la peur du contraste, de 35 à 10 degrés, il y avait de quoi appréhender. Pantalon sur les chevilles pour Monsieur, on garde les chaussettes du coup, et les mocassins à grelots aussi. Exit short, bienvenue pantalon à pinces. Téléphone braqué en mode vidéo, elle n'en perd pas une miette. Fou rire intérieur. Rire, enfin.
Elle regarde autour d'elle si d'autres ont saisi la scène. Chacun est tellement affairé à réapprendre son numéro de siège et à examiner toute les lettres de la carte d'embarquement à l'affut d'un surclassement. Personne, personne n'a saisi cet instant de grâce. Elle pense à lui, qui aurait savouré la scène à sa juste valeur. Et elle repousse cette pensée, qu'elle sentait monter de loin, elle reste froide. Elle pense à elle, qui jamais ne goutera un tel instant, aveugle à la saveur de celui qui l'accompagne, hermétique aux parfums de la vie, à celui qu'elle pourrait porter chaque jour sans le savoir.

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